Mon " tourisme " médical.
C'est une longue histoire qui commence en 2008 , à la Seyne-sur-Mer.
Je suis technicien de cirque, au sein de la Compagnie " Tout Fou To Fly " un des derniers cirques aériens de France.
À l'époque, je vis dans une caravane sur le site de " Circoscène " aux Sablettes à la Seyne-sur Mer, à côté du grand chapiteau blanc installé là-bas, et que la compagnie gère.
Évidemment, cette vie de romanichel autorise bien des excès d'abus, et bien des abus d'excès !
Quelques belles fiestas sont programmées, et bien peu ne se font pas.
Ma santé physique commence à péricliter. Je sais d'où ça vient, il faut que je fasse pédale douce sur les alcools et autres substances dites illicites !
Mais malgré des efforts réels de ces côtés, j'ai toujours un problème de reflux gastrique, qui m'empêche de me nourrir correctement.
De fil en aiguille, j'ai de plus en plus d'intolérance aux aliments, aux boissons, que je régurgite systématiquement. Au bout de deux ans de ce régime - surtout après ma dernière intolérance, l'eau ! - je décide de consulter mon médecin de famille en Lorraine.
Bien sûr, pour lui c'est cette vie de saltimbanque qui est en cause. Néanmoins il m'envoie faire quelques analyses. Pour commencer, une gastroscopie, puis une coloscopie ( journée de merde ! ) qui ne détectent rien d'anormal à part quelques diverticules dans les intestins, normaux chez les hommes de plus de 50 ans.
Puis, il s'attelle aux différents organes : le foie qui parait normal ( étonnant, non ? ) les échographies de la rate, du pancréas, de la vésicule, de la prostate, de l'estomac, de l'œsophage, de la thyroïde, de la vessie, bref, un " ketchup" complet de mon anatomie, entrecoupé de moult prises de sang. Mais rien n'y fait. Mon corps est parfait, mais je ne peux toujours pas boire d'eau !
Entretemps, j'ai arrêté le cirque à la Seyne-sur-Mer pour cause de faillite et de décès en série , et suis rentré en Lorraine reprendre mon métier d'intermittent du spectacle vivant, en tant que technicien .
Bon gré mal gré, il y a de plus en plus d'aliments non tolérés, et en boisson, la seule qui passe, c'est le Picon-bière !
J'en suis réduit à boire du Picon-bière toute la journée pour m'hydrater. Heureusement, le soir, une tisane de romarin avec du miel passe aussi...
Je finis par baisser les bras, en 2015 après des séries d'analyses qui se soldent irrémédiablement par des échecs... Mon toubib diagnostique un problème psychosomatique et me conseille une thérapie.
Mais après la première séance, où je me suis fait traiter de cinglé, de débile, de fou, je me suis retenu de lui péter la gueule, au thérapeute, et il ne m'a jamais revu !
Mais cela va de mal en pis. Je perds du poids : de 80 kg en 2010 je suis passé à70 kg. J'ai de plus en plus de problèmes à l'effort. Moi qui " arrachais " au boulot, je fatigue vite et sens ma masse musculaire fondre de plus en plus. Je ne supporte plus que les nouilles et la viande blanche. Toutes les sucreries me sont proscrites !
Il faut que cela cesse !
Je change de toubib - ce que j'aurais dû faire depuis longtemps - et vois avec lui quels sont les grands spécialistes gastro-endocriniens qui pourraient m'aider.
Il est temps : en 2018, je ne fais plus que 60 kg ! Moins lourd que ma bru qui fait 20 cm de moins que moi !
Finalement, je rencontre un gastro-entérologue qui a, parmi ses potes, un chirurgien du CHU de Lille qui aurait peut-être la solution.
Je passe quelques examens plus approfondis, des scanners ( que mon ancien toubib ne voulait pas me prescrire pour je ne sais quelles obscures raison de quotas ! ). Scanners qui révèlent une anomalie au niveau du dernier sphincter œsophagien (oui, moi aussi je pensais que le sphincter, c'était juste anal ! ) ce qui m'envoie faire une manométrie ( un tube dans l'œsophage, rempli de capteurs et injection d'eau ).
Et là ... Et là, révélation !
C'est une achalasie - paralysie partielle des muscles du sphincter , une maladie rare qui touche une personne sur 100 000 - et c'est opérable !
Alléluia !
Rendez-vous est pris, consultation chirurgicale, cardiaque, anesthésiste, et la date est arrêtée. Ce sera le 19 décembre 2019 au CHU de Nancy-Brabois, où le chirurgien œuvre dorénavant.
Manque de bol, ce jour là, les anesthésistes et les soignants sont en grève, pour cause de suppressions de lits - et donc de postes - au sein du CHU !
Bon... On arrive, en jonglant avec les préavis de grève des uns et des autres, à arrêter une nouvelle date, le 2 janvier 2020.
Je rentre donc au CHU le 1er janvier. L'année commence bien !
On m'explique le mode opératoire : on ne va pas ouvrir le tuyau par le sternum, ce qui peut se faire dans de telles situations, mais avec dommages collatéraux de côtes cassées et de cicatrices énormes.
Non, on va passer par la bouche, faire une incision dans la gaine de l'œsophage et descendre le long de la gaine jusqu'au sphincter . Ce sont des robots qui vont œuvrer, de minuscules robots avec caméra, pour approcher le muscle, et là ! COUIC ! le chirurgien ne met pas ses mains dedans ! Tout par écran haute résolution. C'est beau, le progrès. Deux agrafes pour fermer l'incision en haut de la gaine ( l'agrafeuse n'est pas plus grosse qu'une mouche ) et le tour est joué ! Ils appellent cela la méthode POEM .
Deux jours d'observation du comportement du tuyau, pendant lesquels je peux boire de l'eau à volonté !
Le 4 janvier, je suis de retour chez moi. GUÉRI ! Un régime liquide la première semaine avec de tout, mais mixé. Et je reprends une vie normale, mangeant et buvant de tout, sans restriction aucune. Sauf le fait que je n'ai plus le signal de satiété pour l'estomac plein. Ce qui m'a valu quelques beaux maux de ventre !
On pourrait espérer que cela s'arrête là. Je suis guéri de mon achalasie, que demander de plus ?
C'est sans compter sur les réunions pluridisciplinaires en vogue dans les CHU !
Lors d'un examen du scanner avant et après intervention sur l'œsophage, une pneumologue a trouvé une tache suspecte sur le poumon gauche. Cela a suffi pour refaire un scanner pulmonaire, pour déterminer l'origine de cette tache. Une petite tache noire, qui pourrait être une cicatrice ( j'ai eu des fractures costales par là dans ma vie trépidante de technicien ) ou autre chose.
Un pet-scan ( qui détermine si la zone est sujette au cancer ) de tout mon corps se révèle négatif, hormis cette petite tache de plus en plus suspecte, et un gonflement anormal de la prostate.
Rendez-vous est pris avec un urologue, pour le 20 janvier, mais la Covid est arrivée entre-temps et le rendez-vous est repoussé en avril.
Pour la petite tache, si c'est une bactérie, 15 jours d'antibiotiques devraient la supprimer !
Hélas, le scanner suivant révèle que non seulement, elle est toujours là, mais qu'elle a grossi ! Juste un peu, mais...
La suspicion est de plus en plus grande. Une première biopsie pulmonaire fait chou blanc - la carotte n'est pas assez profonde - et donc une deuxième biopsie sous scanner est programmée . Manque de chance, le radiologue qui œuvrait au sein de l'hôpital est tombé malade de la Covid ! Décidément...
Il a donc fallu aller dans un autre hôpital de Metz pour cela, avec consultation d'anesthésiste , prise de sang, test Covid, la panoplie complète ! Le jour J, cela s'est fait, mal, douloureusement, l'anesthésie n'était pas assez profonde, et il fallait atteindre la tache ! je suis sorti de là avec un léger -mais quand même ! - décollement de la plèvre, qui heureusement s'est remise en place toute seule, contrôle radio à l'appui !
Là, la carotte était suffisamment profonde ( il n'aurait plus manqué que cela ! ) et il faut maintenant attendre les résultats de l'analyse.
Entre-temps, nous sommes en confinement, le rendez-vous urologue est repoussé en août .
Je dois passer un scanner cérébral ( le pet-scan ne scrutant pas la tête ) pour voir si d'éventuelles taches apparaitraient dans ma cervelle . Que nenni, ma tête est clean !
Et les résultats arrivent ! Je dois faire un IRM, une scintigraphie. Et pour l'occasion, je reporte encore le rendez-vous pour la prostate au 6 novembre.
C'est un cancer !
Hé merde !
Après réunions pneumologiques ( auxquelles je n'assistais pas ) il a été décidé de deux solution possibles .
La première, par radiothérapie et chimiothérapie, qui peut donner des résultats, mais sans garantie d'éradication du crabe,
Et la seconde, par ablation du lobe pulmonaire inférieur gauche là où se situe la tache, ablation complète pour être sûr qu'il n'y aura pas de propagation !
C'est cette deuxième méthode que j'ai choisie, en connaissance de cause, ayant été informé de tous les risques inhérents à l'intervention par chimio. Risques qui peuvent même être létaux ! Comme il faut aussi enlever les polypes qui grimpent le long du poumon, les cordes vocales peuvent être affectées et je peux changer de voix, au pire la perdre !
Sachant tout cela, on décide d'une date. ce sera le 2 novembre, le jour des morts. Ça ne s'invente pas ! MDR
Et bien sûr, le rendez-vous urologue est repoussé à janvier 2021. Un an de report !
Une nouvelle technique, par robots chirurgicaux microscopiques, va être mise en œuvre. ce qui évitera d'ouvrir le flanc et de casser des côtes pour passer. Et il n'y aura que trois petites cicatrices en tout et pour tout !
J'espère que, vu la propagation de la Covid, mon opération ne sera pas reportée...
Mais , contrairement à la première vague, la Moselle n'est pas très critique par rapport aux cas Covid !
Le rendez-vous étant donc maintenu, je rentre à l'hôpital Schuman le premier novembre l'après midi.
Tout le personnel est aux petits soins pour moi. On m'explique tous les détails de mon séjour, qui devrait, si tout se passe bien, durer une semaine.
L'après midi se passe entre rencontres d'anesthésie, chirurgien, infirmiers et infirmières, aides soignantes, filles de salle, et même le cuisinier qui s'est fendu d'une visite juste pour moi !
Le soir, c'est un repas copieux qui m'est servi .
Et enfin le grand jour arrive ! Après la douche à la Biafine (oups... je rectifie, c'est de la Bétadine, savon stérilisant, et non de la Biafine, pommade grasse utilisée pour soulager les brûlures, notamment les coups de soleil ! J'imagine le corps médical me voyant débarquer au bloc tout couvert de Biafine ! Merci David pour cette remarque judicieuse ! mdr ). J'enfile la blouse chirurgicale réglementaire et suis emmené au bloc sur un fauteuil. Il est 8 heures.
On me présente le " chirurgien " qui va œuvrer, un monstre d'acier à huit bras, chacun équipé de nombreuses terminaisons toutes petites ! Et c'est fantastique de penser qu'une machine de 800 kg va me trifouiller le poumon !
C'est Star Wars !
Toute l'équipe est là, à me rassurer, mais je suis zen, j'ai une entière confiance et en leurs gestes, et en la technologie d'avant-garde, à laquelle j'ai déjà goûté en janvier.
Et HOP ! dans les bras de Morphée !
J'émerge vers 13 heures. L'opération, longue et lourde, aura duré plus de quatre heures.
Je me retrouve avec des tuyaux partout, qui sortent de mon côté gauche, de devant, de derrière, d'en bas, des bras, de la bouche et du nez !
On m'emmène en chambre, où une foultitude de blouses blanches œuvrent autour de moi, m'installant pour mon séjour pour le moins branché !
Le soir, on me sert un repas léger, on me débranche le tuyau dans la bouche, je suis à jeun depuis minuit, et j'ai bon appétit ! Une bonne soupe, de la purée et un yaourt .
On réduit encore les tuyaux, je n'ai plus qu'un bras branché avec une perfusion, et une pompe à morphine, que je dois actionner en cas de douleurs. La première nuit, sans sommeil, elle a pompé , la pompe !
Je n'ai plus de tuyau anal, et dois me lever en cas d'envie subite, en emmenant tout l'attirail, la potence avec la perfusion et la morphine, la poche urinaire, et la boite à drains ou coulent les fluides pompés dans mon corps, et l'air en excédent, et le tuyau d'oxygène dans le nez. C'est un sacré convoi pour aller à la salle de bain !
Le lendemain mardi, fatigué d'une nuit entrecoupée de quintes de toux douloureuses, je bois deux grands bols de café , sucrés au miel que j'avais pris la précaution d'emmener. Ainsi qu'une salière et un poivrier !
Et c'est avec ma panoplie complète que je suis transporté en fauteuil pour faire la radio de contrôle, à l'autre bout de l'hôpital . Le service de surveillance passe toutes les deux heures pour contrôler le taux d'oxygène, la tension, la température, et la kinésithérapeute vient me faire faire des exercices respiratoires deux fois par jour ! Mon épouse m'apporte un cadeau : un doudou bébé Yoda.
Les repas sont de bonne qualité. Étonnant pour un hôpital, les hôpitaux n'ont pas bonne réputation sur ce sujet ! Quelques réajustements en sel et en poivre sont néanmoins nécessaires pour rehausser les plats...
À la selle, je ne produis que des gaz ! J'ingurgite un produit qui doit me faciliter la tâche.
Le soir, j'ai le choix entre les programmes télé, et mon ordinateur où je matte des films en streaming, ne sachant pas vraiment quelle position antalgique adopter pour la nuit.
Mercredi, après le petit déjeuner, je fais un brin de toilette, tant bien que mal. Avec toute ma tuyauterie, ce n'est pas facile !
Après la séance pansement, la séance radio, la séance kiné, la visite du chirurgien, le repas de midi, je suis bon pour une sieste ! la kiné me réveille pour me torturer ( façon de parler, ce n'est pas douloureux, sauf quand il faut tousser ! ).
L'après-midi, visite quotidienne de mon épouse, puis vers 17 heures, une série des Mandaloriens (avec le bébé Yoda ). Et le soir, on m'enlève encore un tuyau, la sonde urinaire . Une poche de moins à trimbaler !
Après le repas du soir, un bon film d'action, et je m'endors. Mais réveillé en sursaut par ma vessie qui rouspète, je dois bondir vers les toilettes avec quelques fuites, que je dois éponger par la suite. Mais la nuit sera paisible.
Jeudi, on me retire la perfusion et la pompe à morphine, qui est remplacée par une médication par cachet. Et c'est le train-train quotidien, mais je n'ai plus que les drains et le tuyau d'oxygène dans le nez .
L'après midi, avec mon épouse, nous rédigeons sa demande de retraite sur mon super ordinateur de compét !
Vendredi, plus de tuyaux dans le nez, je vais de mieux en mieux. La kiné me promène par des escaliers secrets, faciles à descendre, mais épuisants à remonter ! Après le repas, le soir, je regarde la télé jusqu'à minuit, et m'endors télé allumée ! Je dors d'une traite, juste réveillé par une envie pressante, et passe enfin une nuit calme...
Samedi : les drains sont pincés, pour voir à la radio si tout se passe comme prévu . Ce qui est le cas !
Après la douche qui me débarrasse de tous mes pansements, la kiné passe me faire faire des exercices respiratoires, et le chirurgien passe pour me retirer les derniers branchements : les drains de fluide et d'air !
Et voilà !
Je suis à nouveau un homme libre de mes mouvements, sans accessoires à trimbaler ! Pour fêter ça, je descends dans le hall d'accueil me payer un bon café...
Une radio de contrôle dans l'après midi, et une balade avec mon épouse à respirer enfin l'air ( frais ! ) de la campagne mosellane, et c'est mon dernier souper !
Après une nuit des plus agréables, le dimanche matin, une dernière radio, et je suis libéré !
Me voilà guéri de mon crabe !
Ouf !
Pour la prostate, on verra plus tard. Pour l'heure, je profite des oiseaux de mon jardin et me fends d'un bon Picon suivi d'un excellent bourgogne en dégustant le menu que mon épouse m'a concocté pour mon retour : un bœuf bourguignon.
Je vais à nouveau pouvoir me promener nu chez moi !
Merci à mon épouse et mes enfants et beaux-enfants pour leur soutien sans faille !
Merci à toutes les personnes qui m'ont soutenu pendant ce parcours , et en particulier aux membres du site " être-naturiste.com " qui m'ont accompagné virtuellement .
Merci au gastroentérologue, le docteur Jacoub, et au chirurgien du CHU de Nancy, le docteur Chevaux, et toute son équipe qui a œuvré pour moi, malgré la grève, et qui m'a guéri de mon achalasie.
Merci à la pneumologue, le docteur Perrin, au chirurgien de l'hôpital Schuman de Metz, le docteur Prischpeau, ainsi qu'à tout le service de chirurgie du thorax qui s'est dévoué corps et âme pour moi, et qui m'a guéri de mon cancer.
Merci à Maître Moust, mon correcteur attitré qui a jeté un œil bienveillant sur mon texte.
Quant à vous, merci de m'avoir lu , portez-vous bien... Nus si vous pouvez !
Roro