Titan, banlieue de Saturne...
Tout a commencé fin mai 1997...
L'Agence Spatiale Européenne, ESA, a installé un stand , sur l'aéroport du Bourget , dans le cadre de la biennale du salon de l'aviation et de l' espace 1997.
Le matériel étant en place, c'est-à-dire une maquette à l'échelle 1 de la future fusée Ariane 5 , hauteur 53 mètres ; une maquette à l'échelle1/10 de la future station orbitale internationale ISS ; et , sous un dôme de verre étanche, la sonde HUYGENS, destinée à explorer les environs de Saturne et à se poser sur la planète Titan, une des lunes de Saturne, après les anneaux (elle sera tirée en automne de la même année ).
Il a fallu mettre tout cela en lumière. La société Stratège était chargée de l'opération...
Moi, je n'étais que l'exécutant. Une pléthore d'ingénieurs , éclairagistes et responsables de l'Agence avaient planché sur le sujet... pour finalement n'être d'accord que sur certains points.
Bon gré mal gré , j'ai reçu du matériel d'éclairage:
- des projecteurs asservis qui devaient promener les logos de l' ESA sur tous les murs du stand ,
- des grosses sources pour éclairer la fusée (genre projecteurs de DCA ! pour envoyer un faisceau de lumière en haut de la fusée , à 50 mètres , il en faut des watts !),
- une ribambelle de PAR pour éclairer les allées du stand et certains tableaux de commande embarqués ,
- et déjà quelques LED sur fibre optique pour les petits détails,
- des ponts triangulaires, des moteurs de levage ,
- et un wagon de prolongateurs secteurs ,
- des blocs de gradateurs, des consoles de commandes,
- et moult quincailleries pour assembler tout cela !
Matériel que j'ai monté, branché, réglé, testé, jour et nuit, pour terminer à temps pour l'ouverture du salon, quatre jours plus tard...
Quelques soucis résolus plus tard...
- par exemple , remplacer la puce dans une console : elle n'avait pas supporté le passage obligatoire sous les rayons x à l'entrée de l'aéroport !
- ou refaire la distribution électrique pour brancher toutes mes gamelles (de l'ordre de 200 kilowatts quand même !)
- ou encore camoufler les ponts supportant les projecteurs pour qu'on ne les assimile pas à l' ISS !
- ainsi que mes énormes torons de câbles qui descendaient vers les blocs, à grand renfort de coton gratté noir.
J'ai fini par être prêt , à temps, la veille ...
Il ne me restait plus qu'à grimper sur la maquette de l 'ISS pour débrancher les câbles des moteurs qui l'ont hissée...
Debout sur les grosses poutres qui supportaient la maquette, je m'affairais à deconnecter ces câbles quand la commission de sécurité pénètre dans le stand , me voit à 7 m au dessus d'eux, évidemment sans harnais de sécurité, et m'engueule, à raison d'ailleurs !
Je leur ai dit que les spationautes non plus n'en avaient pas et ils sont bien plus haut !
Cette petite boutade les a fait rire et l'atmosphère, généralement pesante en ces moments de contrôle, était du coup plus détendue... Jje suis descendu et les ai salués, l'affaire était close. Et nous avons obtenu l'autorisation d'ouverture au public !
Le stand de l' ESA se situait dans un immense hangar, en bord de piste. Une partie était dédiée à la restauration , une cuisine équipée et des cuisiniers qui nous mijotaient des plats délicieux , accompagnés de vins de renom. Rien n'était trop bon pour l'ESA !
Et comme je restais pour l'exploitation et la maintenance sur site, je bénéficiais de tous ces avantages... Comme je parle anglais et surtout allemand couramment, je me suis vite fait des amis au sein de l'ingénierie de l' ESA, essentiellement allemande.
Le public, comme prévu, a envahi le stand. Des milliers de personnes passaient par là tous les jours, et comme j'avais du temps, je nettoyais le stand tous les soirs...
C'est incroyable ce que les gens peuvent jeter ! J'ai ouvert un bureau des objets trouvés : des portables (rares à l'époque et déjà perdus ! ) des parapluies, des stylos en tous genres, des montres, des habits, et même des sous-vêtements ! Allez comprendre ! La plupart de ces objets n'ont pas été réclamés, et ont été remis à la fin du salon à la réception de l'aéroport...
Un jour, quelle ne fut pas notre surprise en arrivant le matin pour démarrer le stand, de voir le dôme abritant la sonde HUYGENS entièrement couvert de buée, à l'intérieur...
Comment cette buée est arrivée là, nul ne le sait, mais la résistance chauffante qui tempérait le dôme avait du lâcher ! Il fallait agir !
J'ai été chargé de nettoyer cette buée, en respectant les protocoles en vigueur autour de la sonde : déshabillage, douche, rayons UV et autres, habillage stérile, et tente pressurisée autour du dôme...
Une clef à cliquet de 17 pour démonter les quelque 50 écrous tout autour du dôme, un tournevis et un contrôleur pour mesurer la résistance chauffante que je devais changer et c'est parti ! Tel un spationaute en mission...
Je démontai rapidement les écrous, renversai le dôme, le nettoyai au chiffon antistatique, remplaçai la résistance, contrôlai, et refermai le dôme...après avoir gravé mes initiales, " R D ", dans un coin de la feuille d'or qui couvrait la sonde...avec la pointe de mon contrôleur !
Je devais faire vite, le stand avait déjà du retard sur l'ouverture, on n'attendait que moi !
Une fois reboulonné, le dôme était à nouveau étanche. On a viré la cabine, je suis allé me rhabiller, et l'ouverture du stand a pu se faire, avec un petit quart d'heure de retard !
A côté du stand ESA se trouvaient les Russes, avec très peu de moyens ! Très peu !
Pendant que nous bâffrions au restaurant, ils mangeaient leur sandwich assis sur le marche-pied de leur hélicoptère Tupolev...
Avant de partir faire une démo avec leur engin, ils m'ont demandé du gaffer pour faire tenir l'axe de leur rotor de queue !
Après tout, Apollo 13 est bien revenu grâce à un bout de gaffer!
La mission s'est bien déroulée, le Tupolev a tenu ses engagements, vrilles et loopings en tout genres...avec un peu de gaffer!
Suite à ça, je les ai invités plusieurs fois au restaurant. Les spationautes et ingénieurs le faisaient bien, alors ... Mais que des Russes soient à table avec nous n'était pas bien vu par la hiérarchie...
Par la suite, je détournais des plateaux repas pour les trois Russes. De toute façon, ils en jetaient au moins dix tous les jours, les cuistots...
J'ai pu assister à pas mal de choses, par exemple un avion qui arrive et s'arrête en l'air, comme ça, immobile, puis repart comme une fusée...
La démo de l'hélicoptère tigre, le seul à faire un vrai looping en plongeant en avant !...
Moult machines très bruyantes, les bouchons d'oreilles étaient de rigueur !
Tout ce vacarme a duré une bonne semaine, agrémentée par des pannes de projecteurs asservis, des lampes PAR à changer, des coupures de jus intempestives, la mort de la machine à caf , et pour couronner le tout, on m'a volé ma voiture et la fin du salon s'est fait à pied pour moi !
Le jour du démontage, tout mon barda a été plié en quatre heures, chargement compris, grâce à un renfort de trois potes de chez Stratège. Et on est rentrés , deux camions remplis, vers Nancy, base de la boîte.
L' ESA a récupéré son bébé, et l'a fait transiter vers le pas de tir, à Kourou.
Et c'est parti ! La sonde s'est envolée en octobre 1997 vers une destination connue : Titan, dans la banlieue de Saturne, à 900 millions de kilomètres de la Terre "à vol d'oiseau"...
Au passage, des photos de Mars, mise en orbite autour de Jupiter pour prendre de la vitesse - et des photos! - et arrivée enfin autour de Saturne et Titan, pour une descente en douceur par parachute sur le sol titanien. Nous sommes en avril 2004!
Elle aura parcouru plus de trois milliards de kilomètres, en près de sept ans.
Truffée de capteurs en tous genres, la sonde Huygens a envoyé à la Terre moult informations en temps réel ( un peu plus d'une heure, c'est le temps que met la lumère, et donc les ondes radio, pour parcourir les 900 millions de kilomètres ).
Titan possède des montagnes, des plaines, des rivières, des mers, comme la Terre il y a deux milliards d'années.
L'étude de cette planète, non, cette lune de saturne, nous en apprendra plus sur notre propre planète, disait-on en millieu ESA...
Toujours est-il que mon autographe a parcouru 3 milliards de kilomètres pour se poser à 900 millions de kilomètres d'ici !
Je revendique l'autographe le plus lointain !
Portez-vous bien!